Yves Hébert Sauvageau se fait entendre… 45 ans plus tard
THÉÂTRE. Une salle de spectacle et une troupe de théâtre portent son nom dans sa ville natale de Waterloo. Yves Hébert Sauvageau, décédé le 12 octobre 1970, aurait pu bouleverser le théâtre québécois. Que reste-t-il de la mémoire de ce comédien et dramaturge de génie?
Jusqu’au 10 octobre, le Théâtre d’Aujourd’hui présente le spectacle Sauvageau Sauvageau. Œuvre hommage conçue par Christian Lapointe à partir d’un collage de citations et de dialogues puisés dans le répertoire du regretté personnage. Une façon de redonner la parole à ce jeune précurseur.
«J’ai retenu tous les extraits où j’ai l’impression que c’est lui qui nous parle», précise Lapointe. Sur scène, Paul Savoie et Gabriel Szabo incarnent Sauvageau à l’âge qu’il aurait aujourd’hui et à l’âge qu’il avait au moment de sa mort. «On a l’impression d’entendre la parole d’un oublié. De quelqu’un de très vivant», observe le concepteur qui signe aussi la mise en scène.
À travers une heure de dialogues et de monologues croisés, on assiste au débat intérieur entre la vie et la mort. Entre le vieux Sauvageau qui implore le jeune de les laisser vivre et ce dernier qui cherche un sens à tout ça.
«On met en opposition les pulsions de mort et les pulsions de vie. On porte beaucoup sur la force de vivre. Je trouve ça prodigieux ce que Christian Lapointe a fait», lance l’expert de Sauvageau, Raymond-Louis Laquerre, qui a réalisé une enquête rédigée sous la forme d’une maîtrise universitaire de 753 pages.
Un jeune artiste adulé
En guise d’ouverture de spectacle, Sauvageau Sauvageau débute par la diffusion d’un montage d’archives audio. On y entend, parmi d’autres, les Jean-Pierre Ronfard, Gaétan Labrèche et Jean-Louis Millette rendre hommage au talent du disparu.
«Il y avait une aura autour de lui. Tout le monde le considérait comme un grand talent», se souvient le comédien Paul Savoie qui l’a vu sur scène lors de leurs études à l’ÉNT.
La comédienne France Arbour a eu l’occasion de lui enseigner alors qu’il était adolescent. C’est elle qui l’a aidé à préparer son audition à l’École nationale de théâtre. Elle se souvient d’«un être exceptionnel».
«J’ai essayé de lui donner une structure pour qu’il soit mieux articulé. Il faisait des choses extraordinaires», se rappelle la Granbyenne.
Raymond-Louis Laquerre donne en exemple le triomphe de sa pièce emblématique Wouf Wouf en ’69. «Il y avait environ 500 personnes à la Bibliothèque St-Sulpice et ç’a été un triomphe. Tout le gratin était sur place Yvette Brind’Amour, Jean-Louis Roux, Paul Buissonneau. Les acteurs ont travaillé un mois bénévolement pour une simple lecture!», raconte-t-il.
«Il y avait un halo autour du personnage. Il était de la trempe d’un Robert Lepage. Imaginez s’il avait vécu…», ajoute Laquerre.
Rendez-vous manqué avec l’avant-garde
Christian Lapointe n’hésite pas à parler d’un «personnage historique de notre théâtre», mais avec une existence si courte, Yves Hébert Sauvageau a surtout marqué par ce qu’il aurait pu faire.
«Quand on a fait la lecture de Wouf Wouf, ça ne fait pas longtemps que Tremblay a écrit Les Belles-Sœurs et pourtant on est très loin du théâtre de cuisine», explique Lapointe.
«C’est une affaire pétée en discontinuité. Les gens hallucinent, c’est en rupture complète avec tout ce qu’on connaît qui vient d’apparaître. S’il avait continué, c’était une bombe, un changement de paradigme», poursuit-il.
Au contraire, son décès a eu pour effet de ramener le théâtre en arrière. «Après lui, on est resté pris dans le théâtre de cuisine pendant longtemps et notre télévision est encore comme ça! C’est quelqu’un qui avait une vision en avance sur son temps», analyse le codirecteur du Théâtre Blanc.
Pour France Arbour, c’est d’abord le texte qui faisait l’unicité du génie. «Son écriture est tellement poétique, ça ne rejoint pas le grand public. C’est très sous-bois. Il a une qualité d’écriture qui ne ressemble à personne. On en parle parfois (ma sœur) Monique et moi et on se dit pourquoi est-ce qu’il s’est laissé abattre? Il était aplati moralement», mentionne Mme Arbour dont la sœur s’était liée d’amitié avec Sauvageau.
Emporté par son mal-être
Suicide ou accident? D’après le récit de Raymond-Louis Laquerre, Sauvageau serait décédé des suites d’une intoxication. Une trop grande quantité de drogue et d’alcool ont eu raison de lui.
«Son père était barman dans un hôtel de Granby et le matin même il allait donner sa démission pour s’occuper de son fils qui avait besoin d’aide. En revenant chez lui, il a trouvé son fils. Il était mort», relate Laquerre.
«Son cœur a sauté parce qu’il avait un corps vieilli. Il était magané physiquement. Il voulait éliminer sa grande souffrance, mais il ne voulait pas quitter ce monde», croit le biographe non officiel.
Excessif, hyper sensible et endeuillé par la mort de sa mère survenue quelques mois plus tôt, Yves Hébert était plongé dans une profonde dépression au moment de son décès.
«Yves était malade, il était maniaco-dépressif. À l’époque, on ne connaissait pas cette maladie-là. Il avait rencontré un psychologue qui lui avait donné des médicaments bien trop forts», se souvient Yves Roy.
Ce dernier a été l’amant et l’ami de Sauvageau jusqu’à la fin.
«Dans Papa, il raconte un suicide manqué. C’est arrivé, j’étais là. Il avait des hauts et des bas», témoigne-t-il.
Une troupe et une salle de spectacle
Que reste-t-il de la mémoire d’Yves Hébert Sauvageau dans sa ville natale de Waterloo? D’abord, il y a une troupe qui porte le nom de Théâtre Sauvageau. Une organisation qui fêtera bientôt ses 35 ans, cofondée par Yves Roy.
«On m’avait demandé de partir une troupe de théâtre à l’époque et je ne pouvais quand même pas l’appeler «Yves Roy», alors j’ai choisi ce nom-là», mentionne celui qui a présidé l’organisme durant de nombreuses années.
Il se souvient de la toute première pièce intitulée Sauvageau, Ionesco, collage d’extraits de textes des deux auteurs. La troupe a, plus tard, monté Les mûres de Pierre, autre texte signé Yves Hébert Sauvageau.
«Chaque fois, je me faisais un devoir d’expliquer aux gens qui était le bonhomme pour qu’il sache qu’on ne s’appelait pas Théâtre Sauvageau pour rien», se souvient M. Roy.
En plus de la troupe, il y a la salle. Les habitués de la Maison de la culture de Waterloo assistent aux spectacles de leurs artistes favoris dans la grande salle Yves-Hébert-Sauvageau. Une salle inaugurée en 1990 par une pièce de la troupe de théâtre du même nom.
Sauvageau en quelques dates
1946: naissance à Waterloo
1962: il fonde la troupe de théâtre La Lanterne à Waterloo
1965: 1er et 3e prix du concours des jeunes auteurs de Radio-Canada
1968: diplômé de l’École nationale de théâtre du Canada
1969: première lecture publique de la pièce Wouf Wouf
1970: décès à Granby
Sauvageau en quelques titres
– Jean et Marie
– Les enfants
– Papa(1966)
– Je ne veux pas rentrer chez moi, maman m’attend (1966)
– Les mûres de Pierre (1966)
– Wouf Wouf (1967)
– On s’aime à mort (1970)
– Mononstres et manattentes (Ohé! toi qui louches, fais-moi peur) (1970)