Les enseignes «rétro» en voie de disparition?
AFFICHAGE. Elles illuminent l’entrée de la ville et le centre-ville depuis des dizaines d’années et pour certaines même depuis un demi-siècle! Ces enseignes colorées de néons aux formes extravagantes sont-elles condamnées à disparaître ou doit-on tenter de les conserver?
Les pins du Motel Les Pins, le maître d’hôtel du restaurant Plumet, le gros Ben de la cantine mythique ou le «Monsieur chic» de la mercerie Lamoureux sont autant de témoins d’une esthétique commerciale d’une autre époque.
Pour Matt Soar, professeur au département de communication de l’Université Concordia et instigateur du Montreal signs project, ces enseignes ont une valeur patrimoniale certaine. «Absolument! Il est évident que ce sont des enseignes bien conçues, avec de bons matériaux et une expertise», observe-t-il.
«Elles sont intéressantes parce qu’elles sont uniques. Ce ne sont pas des enseignes fabriquées en série. Elles sont toutes originales, tellement belles et tellement kitch!», ajoute celui qui a milité pour la sauvegarde du célèbre «Farine Five Roses».
Toutefois, la valeur de ces enseignes dépend d’abord de ce qu’elles représentent pour la communauté. «Les gens créent ces racines. Ils s’attachent à ces enseignes pour avoir fréquenté ces commerces où parce qu’elles sont dans le paysage depuis trois ou quatre générations», souligne M. Soar.
Aucun droit acquis
Peu importe l’année où elles ont été installées, les enseignes ne sont pas protégées d’un droit acquis. Certaines municipalités, dont la Ville de Magog, ont d’ailleurs déjà adopté des règlements rétroactifs sur les enseignes. Les commerçants disposaient alors d’un délai pour se conformer aux nouvelles normes.
Granby n’a pas emprunté cette voie, mais les règles d’affichage ont changé au fil des ans. Si bien que certaines vieilles enseignes sont devenues dérogatoires. En décembre 2013, Pneus Robert Bernard a été forcée de retirer son immense marquise après avoir déposé une demande pour la modifier.
«Si on change ou on altère une enseigne, il faut demander un permis. Pour les zones concernées par un plan d’intégration et d’implantation architecturale (PIIA), il faut passer par le comité consultatif d’urbanisme (CCU) qui émet ses recommandations au conseil», explique directeur du service d’urbanisme de la Ville de Granby, Dominique Desmet.
Plusieurs des vieilles enseignes aux néons se trouvent dans des zones de PIIA. Elles sont donc vulnérables à être retirées en cas de bris majeur ou d’un besoin de modification.
L’héritage St-Onge
Alain Rousseau est un peu le conservateur de ces vieilles enseignes. Propriétaire de l’entreprise Entretien d’enseignes Servico, c’est à lui que plusieurs confient le mandat de maintenir l’image de leur commerce en bon état.
La présence d’autant d’enseignes originales au néon serait l’héritage d’Enseignes St-Onge. Le fabricant granbyen a produit une multitude de structures lumineuses au cours des décennies 60 et suivantes. D’après M. Rousseau, on lui doit celles de Ben, Plumet, Motel Les Pins, Mercerie Lamoureux et Comeau.
Compte tenu de leur âge avancé, ces enseignes ont désormais entamé un compte à rebours vers leur débranchement. Pour les mieux entretenues, Alain Rousseau parle d’encore 20 à 25 ans. «Ça dépend de leur état, elles ne sont pas toutes corrodées», précise-t-il.
Il devient toutefois de plus en plus compliqué de remplacer les néons. «De moins en moins de souffleurs de verre parviennent à vivre de leur métier, ils sont donc plus rares à travailler les tubes néon. Ce qui rend difficile d’obtenir des tubes de remplacement», raconte le réparateur.
Comment les protéger?
Au pavillon Loyola de l’Université Concordia, Matt Soar et son équipe exposent leur collection de vieilles enseignes dans les couloirs. «On ne les répare pas, on les nettoie et on les expose. Il y en a présentement onze en montre», précise celui qui a notamment récupéré les grandes lettres de Bens et de la Librairie Guérin.
Granby pourrait-elle en faire autant comme avec l’horloge du vieux bureau de poste installé dans la salle du conseil? Le chercheur avance aussi l’idée d’un parc thématique comme cela a été réalisé ailleurs. «Ça pourrait devenir un attrait touristique», avance-t-il.
«Qu’est-ce qu’on fait avec l’enseigne si le commerce ferme ou si la réglementation change? Tout le monde s’en fiche, sauf si quelqu’un se lève et tente de la protéger», conclut le professeur.