La Loi sur les nouvelles en ligne du Canada est un atout pour le journalisme
La Chambre des communes examine actuellement un projet de loi visant à contrer le déclin du journalisme canadien. La Loi sur les nouvelles en ligne crée un système permettant aux éditeurs, comme ceux de journaux, de négocier conjointement avec les géants des plateformes en ligne comme Google et Facebook afin d’être rémunérés équitablement pour le contenu journalistique utilisé par ces plateformes. De façon générale, elle accorde aux éditeurs une exemption de la Loi sur la concurrence du Canada aux fins de ces négociations. Cependant, il est nécessaire de mettre en contexte certaines relations commerciales spécifiques pour expliquer pourquoi ceci est une bonne chose et pourquoi elle peut sauver l’industrie. Avec tant d’emplois perdus au cours des deux dernières décennies, le déclin du journalisme est souvent attribué à l’essor d’Internet.
Il y a 20 ans, le modèle économique du journalisme était clair. Votre journal local ou régional gagnait de l’argent grâce à une relation directe avec ses lecteurs, car il livrait les journaux à votre porte. Parce que vous le lisiez, l’espace sur les pages du journal avait de la valeur pour les entreprises qui cherchaient à vous faire de la publicité pour leurs produits ou services, et les journaux vendaient directement ces publicités aux annonceurs.
Aujourd’hui, le contenu publié par les éditeurs est de plus en plus accessible aux lecteurs par le biais de plateformes comme Google et Facebook, qui collectent et contrôlent les données relatives aux lecteurs de ces éditeurs. Plutôt que de s’adresser à des annonceurs individuels pour vendre des publicités en ligne, les éditeurs s’adressent à des places de marché publicitaires en ligne qui servent d’enchères indépendantes, où la principale valeur pour les annonceurs est constituée par les données détaillées sur les lecteurs. Par la domination de Google sur la recherche en ligne et celle de Facebook sur les médias sociaux et la messagerie en ligne, ces deux géants contrôlent ces marchés publicitaires, souvent par des moyens illégaux.
Bien qu’ils tirent un grand profit des contenus d’information présents sur leurs plateformes, Google et Facebook utilisent leur position dominante pour payer peu ou pas du tout l’utilisation de ces contenus, refuser aux éditeurs l’accès aux données de leurs lecteurs, exiger des éditeurs qu’ils fournissent des articles sensiblement gratuitement et exiger des formats de publication moins rentables qui favorisent les plateformes. Les éditeurs étant incapables de monétiser le contenu qu’ils produisent, le journalisme dans le monde entier est en difficulté.
Mais il ne s’agit pas d’une question de technologie, mais plutôt d’une différence de pouvoir de négociation. Individuellement, les journaux ne peuvent pas se détourner des plateformes, sous peine de perdre une grande partie de leur lectorat et de leurs recettes publicitaires. Google et Facebook sont la seule option pour de nombreux éditeurs, alors que les plateformes peuvent ignorer les demandes de n’importe quel éditeur. Et si les éditeurs se regroupaient pour demander une compensation aux plateformes, ils violeraient la loi. Les lois antitrust et sur la concurrence, comme la Loi sur la concurrence du Canada, interdisent aux concurrents de se coordonner ou de s’entendre entre eux, car cela leur permet d’augmenter les prix au détriment des consommateurs et du public.
Par contre, dans le cas qui nous préoccupe, c’est effectivement le but, dans la mesure où nous voulons que le journalisme soit rémunéré. C’est d’autant plus vrai que les autorités chargées de faire respecter la concurrence dans le monde entier – aux États-Unis en particulier – n’ont absolument pas réussi à empêcher Facebook et Google d’obtenir leur monopole grâce, par exemple, à l’acquisition de DoubleClick par Google en 2007 et aux acquisitions d’Instagram et de WhatsApp par Facebook. L’exemption de concurrence de la Loi sur les nouvelles en ligne vise à rééquilibrer cette relation en permettant aux éditeurs de se regrouper pour négocier une compensation plus équitable de la part des plateformes, qui utilisent et bénéficient de leur contenu en échange d’une compensation minimale. Tant que le pouvoir concentré des plateformes technologiques n’est pas maîtrisé, la solution consiste à permettre aux éditeurs d’avoir un plus grand pouvoir de négociation avec elles.
La Loi suit le modèle d’une loi similaire, le News Media Bargaining Code de l’Australie. Les résultats en Australie ont déjà été bien au-delà de ce qui était prévu. Cette législation s’est avérée être une vraie bénédiction pour le journalisme australien, tant pour les grands éditeurs que pour les petits, transférant un montant estimé à 200 millions de dollars australiens à l’industrie du journalisme australien. Au fait, certains éditeurs ont même du mal à trouver des stagiaires en Australie car les journalistes en herbe ont pu trouver des emplois à temps plein facilement.
Malgré les critiques courantes du code australien (manque de transparence, absence de garantie de dépenses pour le journalisme, favoritisme pour les grands éditeurs, etc.), la Loi sur les nouvelles en ligne adresse ces lacunes en exigeant, par exemple, que le CRTC reçoive les détails des accords négociés ou que les petits éditeurs puissent être ajoutés ultérieurement aux accords négociés.
Dans son examen de la Loi sur les nouvelles en ligne, le directeur parlementaire du budget du Canada a récemment estimé qu’elle entraînerait probablement des revenus supplémentaires de 329,2 millions de dollars pour les entreprises de presse canadiennes. Combien de journalistes pourraient être embauchés avec cette somme ?
Erik Peinert est directeur de recherche et rédacteur pour l’American Economic Liberties Project et rédige actuellement un livre sur l’évolution de l’antitrust et du monopole au XXe siècle.