Québec refuse qu’un chef de Bromont cuisine une espèce envahissante du lac Brome

GASTRONOMIE. Une bisque aux écrevisses, des sauces, un cappuccino à l’écrevisse et à l’huile de truffe, ou encore un poulet à l’écrevisse. Des idées pour cuisiner l’écrevisse à taches rouges, le chef Arnaud Rohr, propriétaire du restaurant La Pérouse de Bromont, n’en manque pas. Mais ce n’est pas de sitôt que le restaurateur pourra servir des plats concoctés avec cette espèce exotique envahissante du lac Brome, puisque le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) a refusé de lui octroyer un permis de pêche commerciale.

«Il n’y a rien de fou dans ce projet», lance d’emblée le chef Rohr, rencontré à son restaurant de la rue Shefford. Il raconte avoir approché l’organisme Renaissance lac Brome lorsqu’il a appris que l’étendue d’eau était envahie par l’écrevisse à taches rouges. «Je leur ai dit : pourquoi ne pas les manger?», raconte Arnaud Rohr.

Sur le vieux continent et dans certaines régions des États-Unis, l’écrevisse est cuisinée et appréciée. «En Europe, ça vaut une petite fortune au même type que le foie gras. En Louisiane, ils se font des <@Ri>partys<@$p> d’écrevisses comme nous on se fait des épluchettes de maïs», expose M. Rohr.

Le cuisinier a entrepris de faire des essais culinaires à son domicile. Le crustacé qui mesure environ 10 centimètres, sans compter les pinces, ne se mange pas comme une crevette, prévient Arnaud Rohr. Ce dernier a élaboré différents plats qui mettent tous en vedette l’espèce exotique envahissante du lac Brome. «L’écrevisse à taches rouges a un goût exceptionnel, entre celui du homard et de la crevette», dit Arnaud Rohr.

Outre les démarches culinaires, une biologiste a effectué un recensement de la population d’écrevisses à taches rouges dans le lac Brome. Dans le cadre de ce projet, Arnaud Rohr souhaitait aussi rendre disponible l’écrevisse à taches rouges aux restaurateurs intéressés à la cuisiner et qui se trouvent dans un rayon de 20 kilomètres du lac Brome.

Refus

Si le projet d’Arnaud Rohr a reçu l’aval du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, le MFFP a refusé de lui octroyer le permis de pêche commerciale qu’il demandait.

Dans une missive, dont le GranbyExpress a obtenu copie, le MFFP soulève plusieurs points, dont la crainte que «l’effort de pêche commerciale proposée ne soit pas suffisant», que la pêche «pourrait provoquer l’effet inverse […], augmentant la taille de la population [d’écrevisses]» et que la commercialisation de l’écrevisse à taches rouges entraîne des «effets non désirables, soit un attrait renouvelé pour ces espèces ou l’émergence d’un engouement pour l’élevage et l’importation illégale».

Arnaud Rohr est déçu du refus du MFFP. «C’est un projet écologique, touristique et novateur», dit celui qui avait également l’intention de créer un festival printanier avec, pour vedette, le petit crustacé.

«C’est un projet avant-gardiste qui n’a jamais été fait en Amérique du Nord. Je voulais combattre une espèce envahissante. Je ne dis pas qu’on va régler le problème du jour au lendemain, mais ça peut aider», ajoute-t-il.

Le chef Rohr soutient qu’il a espoir, un jour, de pouvoir servir de l’écrevisse à taches rouges à ses clients. «Si on arrive à mettre en oeuvre ce projet, le monde entier va nous regarder parce qu’on va être à l’avant-garde. Je ne lâcherai pas. C’est un projet fabuleux», répète-t-il.

Collaboration

Le porte-parole du MFFP, Nicolas Bégin, indique que le refus du ministère n’est pas définitif. «Cette décision pourrait changer dans les prochaines années. On base notre décision sur les faits scientifiques. On veut connaître les impacts potentiels et donc, on veut acquérir plus de connaissances sur cette espèce-là», dit-il.

Le MFFP collabore avec l’organisme Renaissance lac Brome pour collecter un maximum d’informations sur l’écrevisse à taches rouges. «On veut acquérir des connaissances sur la gestion de cette espèce faunique», ajoute Nicolas Bégin.

La biologiste Anaïs Renaud, coordonnatrice de projets à Renaissance lac Brome, confirme que l’organisme poursuit son implication dans le projet, de concert avec le MFFP, «pour avoir plus de données sur la dynamique et la distribution de l’écrevisse. Il y a beaucoup de données aux États-Unis, mais peu au Québec», explique-t-elle. Un minimum de 1,8 million d’écrevisses à taches rouges vivraient dans le lac Brome.

Pour quantifier la présence du crustacé dans les cours d’eau environnants, l’organisme a notamment inventorié les ruisseaux Quilliams et Coldbrook, ainsi que la rivière Yamaska du 22 juillet au 3 août. Des écrevisses capturées lors de l’opération seront transmises au MFFP afin que l’ADN du crustacé soit analysé. Anaïs Renaud précise que le rapport ne sera pas achevé avant la fin du mois d’août.

Impacts immédiats

Présente depuis 2011 dans le lac Brome, l’écrevisse à taches rouges a modifié le fond de l’étendue d’eau. «C’est comme une coupe à blanc. L’écrevisse à taches rouges a des impacts sur le fond aquatique et le restant de la faune. C’est une espèce qui est compétitive, qui mange beaucoup et qui se reproduit rapidement. Elle modifie beaucoup les habitats», explique Mme Renaud.