Les entreprises «ne sont pas dopées à l’immigration», selon le patronat
MONTRÉAL — Les entreprises québécoises «ne sont pas dopées à l’immigration», a défendu le président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec (CPQ), qui a témoigné, avec des entrepreneurs, de l’importance des travailleurs étrangers pour soutenir la croissance des compagnies.
Le bassin d’employés présents actuellement dans la province sera loin de suffire pour remplacer le 1,6 million de départs à la retraite d’ici 2030, a soutenu Karl Blackburn en conférence de presse, jeudi, à Montréal.
«Nous n’arrivons pas à trouver de travailleurs québécois pour faire le travail dans toutes nos entreprises qui ont des besoins de main-d’oeuvre. Alors, les entreprises ne sont pas dopées à l’immigration. Les entreprises vont chercher des travailleurs là où elles le peuvent pour continuer de croître, créer de la richesse, payer des taxes, payer des salaires ici en sol canadien», a-t-il plaidé.
M. Blackburn était accompagné de quatre représentants d’entreprises pour montrer «un visage concret» de ce que pourraient être «les conséquences économiques importantes reliées aux décisions improvisées» des gouvernements fédéral et québécois en matière d’immigration.
Ils ont notamment demandé à Ottawa et Québec une meilleure stabilité et prévisibilité à ce chapitre ainsi que de «corriger le tir» sur certains changements apportés au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET).
Ces représentants du milieu des affaires réclament, par exemple, une révision du seuil maximal d’effectifs étrangers pour les postes à bas salaire, qui est passé dernièrement de 20 à 10 % dans certains secteurs. Ils souhaitent aussi un retour du traitement simplifié pour plusieurs professions.
Pas du «cheap labor»
M. Blackburn a indiqué que près de 50 % des entreprises québécoises refusent de nouveaux contrats, ou encore annulent ou reportent des investissements en raison de la pénurie de main-d’oeuvre.
L’un des entrepreneurs présents à ses côtés, le président et propriétaire des Vêtements SP, Steve Berard, a affirmé que l’entreprise fait partie du nombre, devant dire non à certains contrats.
«Sans le Programme des travailleurs étrangers temporaires, la réalité de mon plan d’affaires, c’est qu’à un certain point je ne pourrais plus garder l’entreprise en sol canadien», a-t-il même indiqué.
L’entreprise de la Montérégie, qui confectionne notamment les uniformes pour les équipes de la LNH, embauche une quarantaine de travailleurs étrangers temporaires sur 260 employés. M. Berard mentionne que Vêtements SP a investi pour automatiser certains postes, mais que «la chaîne de production va rester très manuelle pour encore plusieurs années».
«Notre métier, c’est de la couture, de la haute couture. On ne fait pas de la production à la chaîne. Ça prend de l’expertise, de l’agilité, des mains. Ça ne se fera pas par des robots encore pour plusieurs, plusieurs, plusieurs décennies», a-t-il relaté.
Les effectifs provenant de l’extérieur du pays ne sont pas du «cheap labor», a également soutenu Frédéric Albert, président du groupe Fredac Corporation, qui possède trois entreprises manufacturières. Elles comptent 100 travailleurs étrangers gagnant en moyenne 50 000 $ par année.
«Ils paient des impôts et contribuent à notre économie. Ils s’adaptent à notre culture et ils apprennent notre langue», a affirmé M. Albert.
Chez le fabricant de pièces métalliques Matritech, les travailleurs étrangers temporaires qu’il emploie veulent devenir un jour des résidents permanents, a déclaré Donna Noble, contrôleur et directrice des ressources humaines de l’entreprise.
Le PTET est «une étape vers la permanence», selon le président de Nordikeau, Jean-François Bergeron. «Ces gens-là prennent racine au Québec, sont heureux et ont des enfants. On les engage dans une perspective de faire carrière chez nous. Il ne faut pas penser qu’on remplace les gens tous les deux ans», a-t-il dit.
Le gel de deux programmes déploré
Le CPQ tenait sa conférence de presse au même moment où le gouvernement Legault annonçait vouloir admettre un maximum de 66 500 immigrants en 2025, soit plus que dans les années précédentes.
Le ministre de l’Immigration, Jean-François Roberge, a aussi annoncé un gel du Programme de l’expérience québécoise volet diplômés et du Programme régulier des travailleurs qualifiés jusqu’en juin prochain. Cette décision vise à juguler la hausse prévue l’an prochain, a fait savoir le ministre.
M. Blackburn a déploré l’absence de consultation avec les entreprises concernant ce moratoire.
Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) a aussi réagi, soulignant qu’il y a plus de 13 000 postes vacants dans le secteur manufacturier.
«Les entreprises manufacturières sont actuellement coincées dans une tempête parfaite: les postes vacants peinent à se combler et le bassin de travailleurs disponibles se réduit. Sur le terrain, cela va nécessairement se traduire par des baisses de production, des réductions d’investissements et potentiellement des délocalisations», a commenté la porte-parole par intérim de MEQ, Julie White, dans un communiqué.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) s’est dite «consternée» par cette dernière décision, craignant que s’ajoute «énormément de pression sur les PME encore fragiles».
«Selon les données de la FCEI, près de la moitié des PME québécoises aux prises avec la pénurie de main-d’œuvre affirme ne pas pouvoir survivre à court ou moyen terme si l’enjeu persiste ou s’aggrave. Aujourd’hui, le gouvernement ajoute de la pression importante sur ces entreprises», a déclaré le vice-président pour le Québec, François Vincent, dans un communiqué.