Le milieu culturel se mobilise pour réclamer un rehaussement du soutien à la culture

MONTRÉAL — Faut-il être pauvre pour être artiste? La réponse, un non retentissant, a été donnée deux fois plutôt qu’une mercredi, d’abord par quelque 350 artistes signataires d’une lettre ouverte, ensuite par 17 organisations œuvrant dans le domaine culturel.

Ces organismes, réunis sous le parapluie du «Front commun pour les arts dédié à la pérennité de la culture québécoise», réclament du gouvernement Legault de cesser de réduire les budgets dédiés aux différentes activités culturelles.

C’est avec le slogan «Notre culture mérite mieux que d’être fauchée» qu’ils lancent une campagne publique réclamant un rehaussement de l’investissement au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ).

Restrictions au CALQ

Ils dénoncent les compressions imposées au CALQ, soulignant que son budget ne cesse de se rétrécir comme peau de chagrin depuis quelques années. Ce budget est ainsi passé de 185 millions $ en 2022-2023, à 172 millions $ en 2023-2024 et devrait à nouveau être réduit à 160 millions $ pour 2024-2025.

«Le ministre (de la Culture et des Communications, Mathieu) Lacombe a plusieurs fois répété que la Coalition avenir Québec, depuis son arrivée au pouvoir, a augmenté le budget du CALQ de 35 % dans une période où l’inflation a été de 22 %», rappelle la directrice générale du Conseil québécois du théâtre, Caroline Gignac, qui s’empresse de dégonfler cette affirmation: «Ce que le ministre omet de dire, par contre, c’est que ce même 35 % tient compte de l’ensemble des aides COVID non récurrentes accordées au secteur, dont la très grande majorité a déjà pris fin ou se termine dans l’année.»

Ils réclament donc, à prime abord, que les crédits du CALQ soient rehaussés à 200 millions $ dès la prochaine année financière, de rendre ces crédits permanents et de les indexer. Ils demandent également au gouvernement Legault d’aller au-delà du discours de la défense de la culture québécoise et d’en faire une véritable priorité dotée d’une vision à long terme.

«Passer de la parole aux actes»

«M. (François) Legault a là une excellente occasion de passer de la parole aux actes», a déclaré Julie-Anne Richard, directrice générale de RIDEAU, l’Association professionnelle des diffuseurs de spectacles. «Les demandes sont connues, sont adressées, maintenant on va attendre quelle sera la réponse du gouvernement pour être capables de juger vraiment si la culture est aussi importante qu’il ne le prétend.»

Le Front commun note qu’en 2024, pour le seul programme de subventions pluriannuelles, la somme totale des demandes de subventions déposées au CALQ par les organisations culturelles s’élevait à 151 millions $, alors que celui-ci ne disposait que de 94 millions $ pour ce volet. Selon eux, «il s’agit de la première fois où l’écart entre les demandes qui leur ont été adressées et les capacités financières pour y répondre aura été si grand».

Les 17 organismes, qui regroupent les acteurs des domaines de la musique, de la danse, du théâtre, des arts visuels, de la littérature, de l’audiovisuel et plusieurs autres secteurs ajoutent qu’au-delà du CALQ, les programmes de subventions spécifiques vivent également sous le signe de l’austérité. Bien que Québec pourrait se défendre en affirmant que les montants octroyés ont augmenté de 4 % en six ans, ils rétorquent que dans un contexte où l’inflation a atteint 22 % pour la même période, il s’agit d’une perte nette pour le milieu culturel.

Risque de dégradation

Les artistes, rappellent-ils, ne sont pas à l’abri de l’inflation alors que les coûts de production et de diffusion sont aussi en hausse constante et encore plus en région. D’après eux, entre 2022 et l’automne 2024, le soutien moyen offert aux organismes soutenus à la programmation spécifique a diminué de 35 %.

À défaut de rehausser le financement du secteur culturel, ils entrevoient entre autres la suspension ou la réduction de nombreux projets artistiques, une dégradation des infrastructures culturelles, une diminution du soutien aux artistes de la relève et de l’accessibilité aux spectacles et de leur diversité, surtout en région, et une réduction du rayonnement de la culture québécoise à l’étranger.

Fermetures et exode

Pire encore, bien qu’ils ne soient pas en mesure de chiffrer l’exode, les représentants des divers organismes disent tous avoir vu des artistes abandonner dans leurs secteurs respectifs, ce dont il ne faut pas s’étonner, fait valoir le président de l’Union des écrivaines et écrivains québécois, Pierre-Yves Villeneuve. «Le salaire des artistes diminue. Le milieu culturel est attaqué de toutes parts par la technologie, par l’intelligence artificielle. On a de la difficulté avec la découvrabilité de nos œuvres. Nos salaires qui sont précaires et fluctuants d’une année à l’autre sont fragilisés.»

«Si les budgets du CALQ, entre autres, ne suivent pas, si les programmes ne sont pas indexés, ça équivaut à très court terme à augmenter la pauvreté chez les artistes qui sont déjà parmi les plus pauvres», avertit-il.

Camille Cazin, directrice générale du Regroupement des artistes en arts visuels, renchérit: «Aujourd’hui, on est là pour nommer une urgence, que si les choses ne changent pas dans les mois à venir, des institutions vont fermer, des artistes vont quitter le milieu. On est là pour rappeler qu’il y a une vraie urgence.»

Demande d’états généraux

Plus tôt dans la journée, quelque 350 artistes dont la liste est un véritable répertoire de poids lourds dans les domaines de la télévision et du cinéma, de la musique, de la littérature et autres signaient une lettre ouverte avec une tout autre revendication, soit la tenue d’états généraux de la culture.

La demande, complètement indépendante de la démarche du Front commun qui a dit ne pas en avoir discuté, est motivée par la volonté des signataires qu’on leur rende des comptes sur l’utilisation des deniers de l’État. Selon eux, «malgré une augmentation de 25 % des budgets en culture dans les dernières années, la moyenne salariale des artistes n’a pas bougé de façon significative depuis 30 ans». Cette moyenne, disent-ils, est de 20 787 $ par année et si l’on retire le 1 % de ceux qui gagnent 200 000 $ et plus du calcul, cette moyenne chute à 16 911 $, soit 15 000 $ sous le seuil de la pauvreté. «Les créateurs de chez nous ne cessent de s’appauvrir et galèrent de plus en plus pour pouvoir exercer leur métier avec dignité», écrivent-ils.

Ils en concluent qu’il «devient évident que quelque chose ne va pas dans la façon dont percole l’argent, de la main de l’État jusqu’aux créateurs».

Guerre de chiffres

On ne s’étonnera pas que le ministre Mathieu Lacombe ait sauté sur la prise que lui offraient tout à coup les artistes dans leur lettre ouverte, lorsqu’interpellé en Chambre. «Est-ce que c’est assez? Est-ce qu’on peut en faire plus? On peut se poser ces questions-là», a-t-il affirmé lorsqu’interrogé sur la demande du Front commun de rehausser le budget du CALQ.

«Mais, s’est-il empressé d’ajouter, j’invite aussi mon collègue à lire la lettre ouverte des 300 artistes ce matin qui signent ce texte. (…) Eux-mêmes reconnaissent qu’on a investi massivement dans les dernières années», a-t-il répondu en invoquant cette hausse de 25 %.

«Donc, Madame la présidente, ayons cette discussion-là de façon calme et posée avec les bons chiffres Après ça, moi, je suis ouvert à la discussion avec le milieu culturel et ils le savent.»