Des opioïdes semblent être prescrits inutilement au Canada
MONTRÉAL — Près des deux tiers des comprimés d’opioïdes qui avaient été prescrits à des patients pour soulager leur douleur n’ont éventuellement jamais été utilisés, révèle une étude réalisée au Québec et en Ontario et dont les résultats ont été publiés par le Journal de l’Association médicale canadienne.
Les données de l’étude montrent si 67 % des patients ont pris des opioïdes dès le premier jour, seulement 12 % d’entre eux en consommaient toujours quatorze jours plus tard. La moitié des patients avalent aussi cinq comprimés ou moins.
Cela signifie que des dizaines de milliers de comprimés d’opioïdes circulent inutilement, avec tous les risques que cela comporte.
«Avant la publication de cette étude-là, (…) il n’y avait pas d’évidences qui permettaient de guider (les prescriptions d’opioïdes)», a expliqué le docteur Alexis Cournoyer, qui est urgentologue à l’hôpital du Sacré-Cœur-de-Montréal et professeur adjoint de clinique à la faculté de médecine de l’Université de Montréal.
«Par exemple, on a besoin de combien d’opioïdes pour soulager un patient qui a une fracture pour la première semaine ou les deux premières semaines? Donc on observe que les médecins ont tendance à prescrire des quantités plus élevées que ce qui est nécessaire, ce qui mène à beaucoup de pilules qui restent dans les pharmacies des patients.»
L’étude, a-t-il ajouté, vise donc à guider les cliniciens pour minimiser la quantité de comprimés qui sont prescrits inutilement.
Les résultats de cette étude s’appuient sur l’analyse de 2240 patients, dont plus de 90 % avaient été recrutés au Québec.
Les auteurs ont constaté que les patients à qui on avait prescrit des opioïdes pour une colique rénale ou une douleur abdominale avaient un pourcentage d’opioïdes inutilisés plus élevé que les patients à qui on en avait prescrit pour une fracture, une douleur au dos, une douleur à la nuque ou d’autres problèmes musculo-squelettiques.
«Les cliniciens qui choisissent de prescrire des opioïdes pourraient adapter la quantité d’opioïdes prescrits à la condition douloureuse spécifique, en se basant sur la quantité d’équivalents comprimés de 5 mg de morphine pour répondre aux besoins de 80 % des patients décrits dans nos résultats», écrivent ainsi les auteurs.
Cela sous-entend, indique le docteur Cournoyer, que 20 % des patients ne seront pas soulagés et devront consulter à nouveau. Il souligne toutefois qu’il est impossible de prédire avec précision qui aura besoin de quelle quantité pour un soulagement, puisqu’il existe une «variabilité» entre les patients pour une même condition.
Il admet ensuite que les chercheurs ont été un peu étonnés par le pourcentage de comprimés d’opioïdes qui ne sont jamais utilisés.
«On ne parle pas de 3 ou 4 %, a-t-il dit. Mais il faut être conscient, à la base, que l’objectif des médecins qui prescrivent (des opioïdes) est de s’assurer que le patient est soulagé et qu’il ne sera pas obligé de revenir à l’urgence en douleur. Ils ne voulaient pas mal faire.»
Cela étant dit, poursuit le docteur Cournoyer, les chiffres auraient probablement été encore plus alarmants si on avait réalisé la même étude il y a quelques années, «parce qu’aujourd’hui, les médecins sont bien au courant qu’il y a des enjeux avec les opioïdes. Ce qu’on décrit là, c’est probablement mieux que ce qui aurait été prescrit il y a cinq ou dix ans».
Les auteurs de l’étude rappellent que les pharmaciens ont le droit de ne remettre au patient qu’une portion des comprimés prescrits. Les cliniciens pourraient donc ajouter à leur prescription une provision à cet effet, et le patient reviendrait chercher le reste des comprimés seulement s’il en a besoin.
Ils suggèrent aussi l’ajout de la durée anticipée d’utilisation de la médication à la prescription pour limiter le nombre de comprimés inutilisés en circulation. Les pharmaciens ne remettraient pas la portion inutilisée des comprimés après cette durée.
À cet effet, les chercheurs rappellent que la loi limite, dans plusieurs pays européens, la validité d’une prescription d’opioïdes à une durée allant de cinq jours à treize semaines.
Il faudra aussi trouver comment convaincre les patients de ramener leurs comprimés inutilisés à la pharmacie, a dit le docteur Cournoyer.
«Ça, c’est un autre enjeu, a-t-il souligné en conclusion. Les gens ont peur d’avoir un autre épisode douloureux. Quelqu’un qui a fait une pierre aux reins, eh bien le petit pot dans la pharmacie le sécurise.»