L’autre visage de l’itinérance
SOCIÉTÉ. Lors de notre rencontre avec Joannie Martin l’hiver dernier, afin de discuter de son organisation dédiée à l’assistance des personnes sans-abri, la présidente de Planète en action avait déjà prévu une augmentation du phénomène de l’itinérance à Granby. Quelques mois plus tard, nous la retrouvons au campement situé à proximité du cimetière rue Cowie, pour constater les réalités et les défis auxquels sont confrontés les sans-abri.
Le GranbyExpress a rencontré Joannie Martin au lendemain de la fermeture du parc Yamaska, qui avait été désigné par la Ville pour accueillir les personnes sans-abri. « Je ne comprends pas la mentalité de la Ville de vouloir enlever les campements, mieux vaut les garder tous à la même place qu’éparpillés partout. C’est bien moins dangereux et c’est beaucoup plus pratique pour le personnel qui travaille directement auprès d’eux comme les intervenants, les policiers, les organismes comme nous, etc. », souligne-t-elle en indiquant comprendre le désarroi de certains résidents qui habitent non loin du camp du parc Yamaska.
Cela dit, Joannie insiste notamment sur l’importance de regrouper les personnes sans-abri sous un même toit afin d’exercer un certain contrôle sur leur situation, et pour mieux répondre à leurs besoins. «Ce qu’ils veulent, c’est un centre pour pouvoir se réfugier lorsqu’ils le souhaitent et garder une certaine liberté. Ils ne veulent pas vivre tout seuls au fin fond du bois, ce sont des humains qui veulent être ensemble », martèle la responsable de Planète en action.
L’intervenante regrette principalement le manque d’explications qui pousse les autorités de la Ville à fermer tel ou tel lieu pour les itinérants. «Si on ne connait pas la raison, c’est dur pour nous de pouvoir agir efficacement. En sachant cela, on va pouvoir être plus actifs et on aura des arguments pour convaincre la Ville de garder tel ou tel spot.»
Un choix non éclairé
Alors que le campement du cimetière se prépare à accueillir plus d’itinérants, d’autres ont décidé d’éviter ce lieu pour aller s’établir au bord de la rivière -Yamaska en arrière des terrains de SOS Dépannage-Moisson Granby, sur la rue Matton. Pierre, un des résidents de ce campement rencontré par le journal, a prétexté des problèmes de vols et de bruit la nuit qui l’ont poussé à quitter le cimetière, sans donner plus de détails.
Au-delà de ces accroches, la cohabitation se passe relativement bien dans le campement du cimetière, selon Louise-Michelle, qui se présente comme l’une des leaders du lieu. «Tout le monde fait sa part, il n’y a pas vraiment de disputes. Il y a des chicanes de couple, mais ça c’est normal», rigole-t-elle. «Les gars ici sont bien respectueux, c’est très important. Le respect, c’est la base de toute, le reste vient après. C’est ce qui assure la cohabitation».
Lorsqu’on lui pose la question, la dame de 50 ans répond immédiatement que c’est son choix de rester dans la rue. Même son de cloche pour la majorité des personnes sans-abris interrogées. «Par contre, ce que je trouve dur, c’est de vieillir dans la rue. Y’a des matins, je me lève, et la machine ne suit pas du tout, vu que je fais de l’arthrose et du diabète entre autres», explique Louise-Michelle. «Malgré ça, je ne sais pas si je serai prête à retourner vivre en appartement. C’est dur pour moi mentalement être entre quatre murs», ajoute-t-elle.
Pour Joannie Martin, cette notion de choix ne doit pas être considérée et encore moins utilisée pour stigmatiser les personnes itinérantes et ignorer leur situation. «Ce sont des choix non éclairés. Tous les sans-abri vont dire qu’ils ont choisi de vivre dans la rue, mais entre ce qu’ils disent et ce qu’ils veulent réellement, il y a tout un monde», indique-t-elle. «Si un être humain fait le choix d’être dans la rue, de souffrir et d’en arracher, c’est parce qu’il y a quelque chose. Ce n’est pas vrai qu’ils préfèrent ça, et on appelle ça un choix non éclairé», insiste-t-elle.
Durant notre rencontre avec Joannie, un autre itinérant a été escorté par le Service de police de Granby afin qu’il s’établisse dans le campement. Le visage fatigué et le regard empreint de résilience de Pierre-Luc rappelaient tout de suite à la fondatrice de Planète en action l’urgence de la situation et l’importance de l’action. «Je suis un père de famille. Je ne dirai pas que c’est mon ex le problème, mais elle n’a pas eu la chance de bien grandir et d’être bien entourée et moi non plus. Je veux simplement lui prouver que je suis là pour les enfants et pour elle», a lâché le nouvel arrivant alors que Joannie et son équipe s’attelaient déjà à lui trouver des couvertures et des oreillers.