Bertrand Derome: une «deuxième vie» vouée à la sensibilisation
SENSIBILISATION. Lorsqu’il est question d’itinérance, Bertrand Derome en a long à raconter. L’homme de 58 ans, qui a dormi dans les ruelles montréalaises pendant des années, quêté dans Outremont et consommé des drogues dures «à l’extrême» s’est entièrement reconstruit. Il s’évertue désormais, plusieurs années plus tard, à sensibiliser la population à ce fléau et à démontrer qu’il n’est jamais trop tard… pour renaître.
Difficile d’imaginer que le joyeux camelot, qui distribue le journal L’Itinéraire à Sutton depuis sept ans et à Granby depuis deux ans, revient de si loin. Il multiplie avec enthousiasme les «Bonjour, l’Itinéraire!» devant le métro Plouffe, est reconnu par les citoyens et jase ici et là avec ceux qui s’arrêtent pour prendre de ses nouvelles.
Il y a quelques années, le trottoir qu’il emprunte désormais la tête haute était son seul refuge. Il lui aura fallu 17 thérapies, 25 séjours en désintoxication, un long passage derrière les barreaux et une retraite spirituelle pour réellement se sortir de la rue. Mais le chemin à parcourir est bien plus long lorsqu’il est question de sortir la rue de sa vie. C’est pourquoi Bertrand a dû travailler sur lui et ses comportements. «Aujourd’hui, je veux être le vrai Bertrand, je suis fier du monsieur que je suis devenu. Mes clients me trouvent sympathique, j’ai beaucoup d’entregent. Je me découvre des belles qualités, tranquillement», raconte-t-il en buvant un café.
Premier camelot officiel de l’Itinéraire à l’extérieur de la Métropole, il vit modestement dans un quatre et demi à Sutton, «le lieu de sa renaissance». La population l’a littéralement adopté. «J’ai des belles affaires. Il n’y a rien de neuf, mais c’est à moi. Ce n’est pas volé. Quand j’arrive chez moi, j’ai de la nourriture dans le Frigidaire. Je ne vis pas sur l’or, mais je ne manque de rien», se réjouit-il, tout sourire.
Dédié à la sensibilisation
Alors que plusieurs de ses amis n’ont pas fait le même choix et sont aujourd’hui décédés d’une overdose, M. Derome, lui, est bien vivant. Il en est heureux. L’homme se garde chaque jour sur le droit chemin, loin des tentations et de ses anciens démons. Il avoue ne pas toujours trouver ça facile. À travers cette grande quête visant à se découvrir lui-même et son travail de camelot, celui que l’on surnomme «Monsieur Sutton» accepte toutes les opportunités de raconter son passé. Même s’il est, par bribes, difficile à entendre.
Il pose désormais devant les caméras, se déplace sur les lieux de tournages et a pris l’habitude des entrevues. Bertrand a entre autres participé à la série Face à la rue de Jean-Marie Lapointe, à l’occasion d’un épisode diffusé plus tôt cette année. Son histoire est également racontée dans le roman en découlant, Être face à la rue, lancé cet automne. L’auteur et comédien y détaille sa rencontre avec l’itinérant de l’époque, mais surtout, ce que l’homme est devenu grâce à une deuxième chance.
M. Derome a également pris part à une émission de Deux filles le matin, diffusée le 30 octobre, au cours de laquelle il a offert un témoignage en toute transparence, touchant des milliers de téléspectateurs. Le résultat d’un second tournage pour la même émission devrait d’ailleurs être en ondes ce mercredi 13 décembre.
S’il déploie tous ces efforts et qu’il accepte d’être en quelque sorte le porte-étendard de la cause, c’est qu’il juge primordial de le faire. «Je veux sensibiliser les gens à l’itinérance. Il y a tellement de jugement par rapport à ça! Je veux aussi que les gens sachent que l’on peut s’en sortir», fait-il valoir, précisant avoir eu la chance de rencontrer «les bonnes personnes au bon moment».
Même s’il se considère comme analphabète, les articles laminés de ses différentes présences dans les médias s’entassent sur les murs de son appartement. Il traîne aussi toujours de vieilles photos de lui datant de l’époque où il n’avait nulle part où aller. «C’est pour me rappeler d’où j’arrive. Je ne dois pas l’oublier», lance le quinquagénaire au GranbyExpress.
S’il le fait d’abord pour éveiller les consciences, raconter son «ancienne vie» est aussi pour lui une façon de poursuivre sur la bonne voie. Il est d’ailleurs de plus en plus facile pour lui d’en faire le récit. Émotif, il avoue demeurer néanmoins très sensible aux personnes sans domicile fixe qu’il aperçoit. «Moi, je les vois», résume-t-il.